Publié le : 30/12/2013 par Hélène WEYDERT

Homosexualité et emploi : all equal?

All equal

 

En 2013, deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ont rappelé que le principe d’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail de la directive 2000/78/CE2 vise aussi l’orientation sexuelle (CJUE 25 avril 2013, C-81/12 et CJUE 12 décembre 2013, C-267/12)3.

Discrimination : la directive européenne

« La … directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les Etats membres, le principe de l’égalité de traitement« 4.

La discrimination, sous la forme d’une disposition, d’un critère ou d’une pratique, peut être directe ou indirecte.

La discrimination directe est celle qui traite de manière différente des personnes se trouvant pourtant dans une situation comparable : cette forme de discrimination est prohibée sans exception.

La discrimination indirecte est celle qui traite de manière identique des personnes se trouvant pourtant dans des situations différentes : cette forme de discrimination est en principe prohibée, sauf lorsqu’elle est « objectivement justifiée par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires« 5.

Il appartient à la personne qui s’estime victime de discrimination de prouver les faits qui permettent de présumer de l’existence d’une telle discrimination tandis que l’auteur présumé doit, quant à lui, renverser cette présomption en prouvant que, malgré les apparences, il n’y a pas eu discrimination6.

Enfin, les sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives« .7

Recrutement : CJUE, arrêt du 25 avril 2013, affaire C-81/12

En 2010, l’actionnaire d’un club de football en Roumanie tient des propos homophobes auprès des medias (en déclarant notamment : « quitte à dissoudre le [club], je ne prendrai pas un homosexuel dans l’équipe« ). Un joueur, qui devait éventuellement faire l’objet d’un transfert dans ce club, et dont la presse rapporte qu’il serait homosexuel, n’est finalement pas embauché par le club de football.

Les propos de l’actionnaire, qui était en train de vendre ses actions au moment de ses déclarations publiques, et qui n’avait pas le pouvoir juridique de conclure les contrats de travail pour le compte de l’employeur (le club de football)8, peuvent-ils être qualifiés de « faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination » à l’embauche ?

En effet, ce n’est pas l’employeur lui-même, mais un tiers, qui a tenu les propos discriminatoires.

La Cour de justice de l’Union européenne répond par l’affirmative – il y a présomption de discrimination à l’embauche – en se basant sur les éléments suivants :

  1. La personnalité ayant tenu les propos homophobes était perçue par les medias et le public comme étant susceptible d’avoir une influence sur la politique de recrutement de l’employeur, peu important à cet égard qu’elle n’ait pas eu la capacité juridique de lier cet employeur en matière de recrutement ;
  2. L’employeur n’a « pas clairement pris ses distances avec les déclarations en cause » ;
  3. L’employeur n’a engagé aucune négociation en vue du recrutement du sportif présenté dans la presse comme étant homosexuel.

Cette présomption de discrimination est dite « simple », ce qui signifie qu’elle peut être renversée par l’employeur. Il appartient en effet à l’employeur de prouver, dans de telles circonstances, qu’il n’y a pas eu discrimination9.

Comment l’employeur peut-il prouver que l’orientation sexuelle supposée du sportif dont le transfert était envisagé n’a eu aucune influence sur son non-recrutement ?

La Cour de justice de l’Union européenne souligne qu’il n’est pas nécessaire de prouver que des personnes homosexuelles ont été engagées dans le passé, cette preuve pouvant porter atteinte au respect de la vie privée de ces salariés. Il suffit d’apporter un « faisceau d’indices concordants », tels, par exemple, qu’une prise de distance claire de l’employeur par rapport aux déclarations publiques en cause, ou encore l’existence de dispositions expresses garantissant une égalité de traitement en matière de politique de recrutement.

Les employeurs doivent donc être attentifs aux déclarations publiques apparemment faites en leur nom, et veiller, le cas échéant, à les dénoncer (lorsqu’elles sont discriminatoires).

La Cour de justice de l’Union européenne rappelle enfin que « la rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif« 10, ce qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier.

Rappelons qu’en droit pénal luxembourgeois (article 455 du Code pénal) :

Une discrimination visée à l’article 45411, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, d’un groupe ou d’une communauté de personnes, est punie d’un emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 251 euros à 25.000 euros ou de l’une de ces peines seulement, lorsqu’elle consiste:
1) à refuser la fourniture ou la jouissance d’un bien et/ou l’accès à un bien;
2) à refuser la fourniture d’un service et/ou l’accès à un service;
3) à subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service et/ou l’accès à un bien ou à un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 454 ou à faire toute autre discrimination lors de cette fourniture, en se fondant sur l’un des éléments visés à l’article 454;
4) à indiquer dans une publicité l’intention de refuser un bien ou un service ou de pratiquer une discrimination lors de la fourniture d’un bien ou d’un service, en se fondant sur l’un des éléments visés à l’article 454;
5) à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque,
6) à refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne;
7) à subordonner l’accès au travail, tous les types de formation professionnelle, ainsi que les conditions de travail, l’affiliation et l’engagement dans une organisation de travailleurs ou d’employeurs à l’un des éléments visés à l’article 454 du Code pénal.

Conditions de travail : CJUE, arrêt du 12 décembre 2013, affaire C-267/12

En 2007, en France, un employeur refuse d’octroyer à un de ses salariés les jours de congé spéciaux et la prime salariale accordés par la convention collective aux salariés contractant mariage, au motif que ce salarié n’était pas marié puisqu’il avait conclu un PACS12 avec son partenaire.

Les avantages prévus par la convention collective applicable ne sont en effet accordés qu’en cas de mariage. Or le droit national (au moment des faits13) ne permet pas aux homosexuels de se marier, mais uniquement de conclure un partenariat.

Le salarié est débouté en première instance, puis en appel, au motif que la convention collective applicable instaure une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations non comparables, partant qu’il n’y a pas discrimination (directe).

S’appuyant également sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales14, le salarié saisit la Cour de cassation française, qui examine la situation sous l’angle d’une discrimination indirecte – susceptible d’être justifiée – et saisit quant à elle la Cour de justice de l’Union européenne.

La Cour de justice de l’Union européenne, tout en reconnaissant que le partenariat n’est pas identique au mariage, relève qu’en tant qu’unique possibilité d’union légale offerte aux homosexuels, le partenariat est comparable au mariage – du moins en ce qui concerne le droit à l’octroi des mêmes conditions de travail et de rémunération – en ce qu’il constitue un engagement des partenaires à « une vie commune, à une aide matérielle et à une assistance réciproques ».

La convention collective litigieuse, en accordant des avantages uniquement aux salariés qui se marient, crée une discrimination directe à l’encontre des salariés homosexuels qui concluent un partenariat, étant donné que :

  1. Le partenariat s’avère être la seule institution permise aux homosexuels, le mariage étant légalement réservé aux seuls hétérosexuels ; et
  2. Le partenariat est comparable au mariage, du moins pour apprécier le droit des salariés homosexuels pacsés à bénéficier de conditions de travail ou de rémunération accordés aux salariés mariés.

La convention collective contestée, en ce qu’elle traite de manière différente des personnes se trouvant pourtant dans une situation comparable, crée une discrimination directe, prohibée en toutes circonstances15 dans les relations de travail, et contraire au droit de l’Union européenne (en particulier, la directive 2000/78/CE précitée).

Ce salarié homosexuel ayant conclu un partenariat a donc droit aux avantages de la convention collective prévus à l’occasion du mariage.

Il est intéressant de noter qu’un salarié hétérosexuel ayant conclu un partenariat n’aurait pas eu la possibilité de contester la convention collective litigieuse en invoquant le principe d’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail de la directive 2000/78/CE précitée.

Or – sans doute suite aux divers recours intentés depuis 2007 par le salarié en question – la convention collective contestée a été modifiée en 2008 pour étendre le bénéfice des avantages en cause aux salariés concluant un partenariat16, ce qui a par conséquent aussi profité aux salariés hétérosexuels ayant conclu un partenariat, celui-ci n’étant pas réservé en France aux seuls couples homosexuels.

 

 

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1 « All animals are equal, but some animals are more equal than others« , Animal Farm, George Orwell.

2 Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L303, p.16), transposée en droit luxembourgeois par la loi du 28 novembre 2006 portant 1. transposition de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique; 2. transposition de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail; 3. modification du Code du travail et portant introduction dans le Livre II d’un nouveau titre V relatif à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail; 4. modification des articles 454 et 455 du Code pénal; 5. modification de la loi du 12 septembre 2003 relative aux personnes handicapées (Mémorial A n°207 du 6 décembre 2006), modifiée par la loi du 13 mai 2008 portant 1. transposition de la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail telle que modifiée par la directive 2002/73/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 septembre 2002; 2. modification du Code du travail; 3. modification de l’alinéa 1 de l’article 2 de la loi du 14 mars 1988 relative au congé d’accueil; 4. modification de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat; 5. modification de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux; 6. modification de la loi du 28 novembre 2006 portant 1. transposition de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique; 2. transposition de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail; 3. modification du Code du travail et portant introduction dans le Livre II d’un nouveau titre V relatif à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail; 4. modification des articles 454 et 455 du Code pénal; 5. modification de la loi du 12 septembre 2003 relative aux personnes handicapées (Mémorial A n°70 du 26 mai 2008).

3 Voir aussi, en matière de visas, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 novembre 2013, affaires C-199/12, C-200/12 et C-201/12.

4 Directive 2000/78/CE précitée, article 1. Voir aussi, pour être complet, la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO L180, p.22), transposée en droit luxembourgeois par la loi modifiée du 28 novembre 2006 précitée.

5 Directive 2000/78/CE précitée, article 2.

6 Directive 2000/78/CE précitée, article 10.

7 Directive 2000/78/CE précitée, article 17.

8 Voir aussi l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 juillet 2008, affaire C-54/07, s’agissant de déclarations émanant d’un dirigeant ayant la capacité juridique de déterminer la politique d’embauche de la société en cause.

9 Voir l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 juillet 2008, affaire C-303/06.

10 Voir aussi l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 8 juin 1994, affaire C-383/92.

11 « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur couleur de peau, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur situation de famille, de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leurs opinions politiques ou philosophiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non appartenance, vrai ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales, les groupes ou communautés de personnes, à raison de l’origine, de la couleur de peau, du sexe, de l’orientation sexuelle, de la situation de famille, de leur âge, de l’état de santé, du handicap, des mœurs, des opinions politiques ou philosophiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, ou une religion déterminée, des membres ou de certains membres de ces personnes morales, groupes ou communautés » (article 454, Code pénal luxembourgeois).

12 PACS, ou pacte civil de solidarité, en droit français, auquel il est préféré l’emploi du terme « partenariat » dans cet article.

13 Le mariage est autorisé en France entre homosexuel(le)s depuis une loi du 17 mai 2013.

14 Est interdite, toute forme de discrimination « sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » (article 14, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales).

15 Exception faite, toutefois, des motifs strictement entendus de sécurité publique, de défense de l’ordre, de prévention des infractions pénales, de protection de la santé ou de protection des droits et libertés d’autrui (article 2, par. 5, directive 2000/78/CE précitée – sans pertinence en l’espèce).

16 Cette modification ne bénéficie cependant pas au salarié qui a conclu un partenariat antérieurement (en 2007).

 



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