Publié le : 02/03/2017 par Hélène WEYDERT

Lanceurs d’alerte : que dit la CEDH ? critère 5

L’affaire LuxLeaks a été beaucoup médiatisée et un arrêt de la Cour d’appel est attendu le 15 mars prochain à ce sujet.

Les juges luxembourgeois devront tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg, et dont les décisions s’imposent à l’Union européenne notamment.

Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte pour la Cour européenne des droits de l’Homme ? 

La Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg est l’ultime juridiction compétente quand tous les recours luxembourgeois ont été épuisés. La question a donc son intérêt.

En ce qui concerne les employeurs, la Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe, du 30 avril 2014 précise que :

  • Les employeurs devraient être encouragés à mettre en place des procédures de signalement interne,
  • Les représentants du personnel ou les salariés devraient être associés à leur élaboration,
  • Le fait que le lanceur d’alerte a révélé des informations au public sans avoir eu recours au système de signalement interne mis en place par l’employeur peut être pris en considération lorsqu’il s’agit de décider des voies de recours ou le niveau de protection à accorder au lanceur d’alerte (Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe, 30 avril 2014: https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2188939&Site=CM)

Jurisprudence – les 6 critères du lanceur d’alerte

Le 12 février 2008, un arrêt de référence de la Cour de Strasbourg consacre pour la première fois un statut et une protection au lanceur d’alerte, à l’aide de six critères jurisprudentiels constants (CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c. République de Moldova). 

Dans l’affaire Guja, la Cour de Strasbourg admet examiner pour la première fois la possibilité qu’un fonctionnaire (sans pour autant exclure qu’il puisse aussi s’agir d’un salarié) viole volontairement et valablement son obligation de loyauté et de réserve.

Sans y insister, la Cour de Strasbourg établira par la suite une distinction (souple) selon que le lanceur d’alerte est un salarié, soumis à une obligation de loyauté et de confidentialité, ou un fonctionnaire, qui lui est soumis à une obligation de loyauté et de confidentialité renforcée. 

Les six critères établis par la Cour de Strasbourg sont les suivants :

  1. Quels recours étaient à la disposition du lanceur d’alerte ? 
  2. L’information divulguée servait-elle l’intérêt général ?
  3. L’information divulguée était-elle authentique ?
  4. Quel préjudice la divulgation de l’information a t-elle causé ?
  5. Le lanceur d’alerte était-il de bonne foi ? 
  6. Les sanctions infligées au lanceur d’alerte étaient-elles nécessaires ?

Examinons plus en détail le cinquième de ces six critères du lanceur d’alerte à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

5.   LE LANCEUR D’ALERTE ETAIT-IL DE BONNE FOI ?

Le lanceur d’alerte doit avoir été motivé par l’intérêt général : il ne doit pas avoir agi dans le but d’obtenir un avantage personnel, qu’il s’agisse d’un gain financier ou d’une satisfaction de vengeance, ce qui diminuerait sa protection précise la Cour, ce qui donc ne l’anéantirait pas. 

En effet, l’animosité personnelle du lanceur d’alerte pourrait ne pas être prise en compte, si la divulgation permet de sauver des vies, étant donné l’importance de l’information révélée (c’est le sens de la jurisprudence Heinisch). 

La Cour de Strasbourg ne semble pas exiger du lanceur d’alerte qu’il prouve sa bonne foi : la Cour relève simplement qu’il n’y a pas de raison de penser que le lanceur d’alerte était motivé par l’octroi d’un gain personnel ou un désir de vengeance. 

En toute bonne foi, les propos tenus et le ton employé peuvent, dans certaines circonstances, être excessifs ou polémiques (CEDH Kudeshkina, CEDH Heinisch), sans être ni insultants (CEDH Palomo Sanchez), ni diffamatoires (CEDH Martchenko). 

Enfin, la bonne foi ne dépend pas du point de savoir si le lanceur d’alerte a nié les faits, les a reconnus spontanément ou tardivement, car ces circonstances ne sont pas analysées par la Cour de Strasbourg (CEDH Guja, qui a d’abord nié, puis a avoué lorsque ses collègues ont été mis en difficulté).

 

Article complet publié dans Entreprises Magazine, janvier/février 2017, p. 91-96

 



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