Publié le : 05/11/2012 par Hélène WEYDERT

Modification du contrat de travail

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A condition de respecter certaines règles, l’employeur peut imposer au salarié une modification de son contrat de travail, même si le salarié s’y oppose, même si les changements lui sont défavorables et enfin même si ces changements portent sur des éléments essentiels de la relation de travail.

Un jugement récent du tribunal du travail de et à Luxembourg a eu l’occasion de rappeler les principes régissant la modification unilatérale des conditions de travail du salarié (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

Un élément essentiel du contrat de travail modifié en défaveur du salarié

Dans l’affaire précitée (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11), la salariée soutient que son employeur lui aurait imposé un changement de son lieu de travail et de son horaire de travail, ainsi qu’une diminution de son salaire.

L’employeur quant à lui conteste : le contrat de travail prévoit l’éventualité d’une mutation ou d’un changement des horaires de travail.

Une modification, pour qu’elle soit susceptible de faire l’objet d’un contrôle par le juge, doit à la fois (i) s’avérer défavorable au salarié concerné et (ii) porter sur un élément essentiel du contrat de travail.

L’employeur peut toujours imposer une modification du contrat de travail qui n’est pas défavorable au salarié ou qui porte sur un élément accessoire du contrat : l’élément accessoire est celui qui n’était pas déterminant de la volonté des parties, ou celui pour lequel une certaine flexibilité était prévue dès la conclusion du contrat de travail.

Selon les juges, il n’y a pas de révision du contrat de travail “en cas de simple mesure relevant du pouvoir de direction de l’employeur ou lorsque le contrat de travail, le règlement intérieur, la convention collective, le statut ou l’usage prévoient eux-mêmes la possibilité d’apporter des modifications aux conditions initiales de travail, telles qu’un changement d’attribution, un changement du lieu de travail ou un changement de l’horaire de travail” (jurisprudence précitée, T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

Dans ce dernier cas, le salarié doit s’y soumettre en vertu du principe d’exécution de bonne foi des conventions et ce, même si, objectivement, la révision imposée affecte un élément essentiel du contrat de travail.

En l’occurrence, le contrat de travail de la salariée prévoyait bien l’éventualité d’un changement tant de poste que de lieu de travail, de sorte que l’employeur pouvait valablement – et sans contrôle par le juge – imposer ces modifications portant sur des éléments considérés comme accessoires par la salariée lors de la conclusion de son contrat.

En revanche, la réduction du salaire, ou d’un élément (non discrétionnaire) de la rémunération du salarié, est toujours considérée comme une modification en défaveur du salarié portant sur un élément essentiel de son contrat de travail.

L’horaire de travail, quant à lui, peut constituer une modification substantielle du contrat de travail de la salariée en sa défaveur si ce changement a des répercussions sur sa vie privée.

Les juges notent que non seulement un nouvel horaire de travail est imposé (entre 5h et 16h au lieu  de l’horaire initial de 5h à 23h contractuellement convenu…) mais surtout que la salariée devrait désormais travailler le dimanche, ce qui aurait nécessairement des répercussions sur sa vie privée.

Le changement de l’horaire de travail de la salariée, ainsi que la réduction de son salaire, sont par conséquent des modifications devant faire l’objet d’un contrôle par les juges (le changement de poste et de lieu de travail n’étant, quant à eux, pas examinés).

Conditions de forme et de fond à distinguer

L’employeur en déduit que les modifications de l’horaire de travail de la salariée, ainsi que la réduction de son salaire, sont simplement nulles et qu’il convient dès lors d’appliquer les anciennes conditions de travail.

Les juges s’opposent à cette argumentation :

L’employeur doit respecter les conditions de forme requises pour imposer une révision du contrat de travail, les conditions de forme étant, par exemple, la notification au salarié de ses nouvelles conditions de travail par lettre recommandée, avec préavis et en indiquant la date de prise d’effet.

Si l’employeur ne respecte pas ces conditions de forme, le salarié a le choix entre soit (i) demander en justice la nullité de la modification et le maintien des anciennes conditions de travail, ou encore (ii) démissionner, ou enfin (iii) résilier le contrat de travail avec effet immédiat pour faute grave de l’employeur, qui a modifié illicitement le contrat de travail du salarié.

Le salarié ne doit pas démissionner pour faire valoir ses droits : il peut demander aux juges la nullité de la modification opérée par l’employeur, tout en continuant à travailler (ou, comme c’est aussi le cas, tout en étant en incapacité de travail médicalement constatée).

En l’occurrence, cependant, dans l’affaire précitée (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11), l’employeur a bien respecté ces conditions de forme, de sorte que les modifications de l’horaire de travail de la salariée, ainsi que la réduction de son salaire, ne peuvent pas être frappées de nullité.

L’employeur doit également respecter des conditions de fond telles que, par exemple, si le salarié en fait la demande, la communication de motifs précis, réels et sérieux justifiant la modification (quand il s’agit d’une modification imposée à l’issue d’un préavis).

Si l’employeur a bien respecté les conditions de forme, mais n’a pas respecté les conditions de fond requises pour imposer une révision du contrat de travail, le salarié peut faire constater par le tribunal que la modification lui imposée constitue un licenciement susceptible de lui donner droit à l’allocation de dommages-intérêts.

Cependant, pour qu’un recours judiciaire soit possible, le salarié doit, au préalable, refuser la modification de son contrat de travail que l’employeur lui a notifiée.

Qu’entend-on par “refus du salarié” d’accepter ses nouvelles conditions de travail?

Dans l’affaire précitée (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11), la salariée soutient qu’elle aurait exprimé son refus par le biais d’un courrier dans lequel elle conteste aussi les motifs avancés par l’employeur pour justifier la révision de son contrat de travail.

Le tribunal rejette l’argument : la simple contestation, par courrier, ne produit pas d’effet, et seule la rupture des relations de travail permet au salarié d’agir en justice.

Le salarié est donc obligé de tirer les conséquences de son refus et de démissionner pour pouvoir exercer ce recours judiciaire” (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

L’employeur, quant à lui, soutient que la salariée n’aurait pas démissionné, mais aurait simplement cessé de se présenter au travail au moment où les nouvelles conditions de travail devaient entrer en vigueur.

L’employeur s’appuie sur une jurisprudence bien établie, selon laquelle la démission ne se présume pas et ne peut pas, en principe, être déduite d’un acte passif, tel que la non présentation du salarié à son travail. En effet, le salarié doit généralement notifier activement son intention de démissionner à son employeur, par exemple par courrier recommandé assorti d’un préavis.

Le tribunal souligne qu’il en va autrement en cas de modification du contrat de travail : il ne faut pas que le salarié pose un acte juridique de démission. Ainsi le courrier recommandé avec préavis devient-il inutile.

“Il faut, mais il suffit, que le salarié, qui a fait connaître à l’employeur son désaccord sur la modification, quitte l’entreprise le jour où la modification doit entrer en vigueur” (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

Il est établi que la salariée a cessé de travailler au moment où ses nouvelles conditions de travail devaient entrer en vigueur, et qu’elle a ainsi clairement manifesté sa volonté de ne pas les accepter.

Quand la révision du contrat de travail est qualifiée de licenciement

Le fait pour l’employeur de notifier au salarié la modification de conditions essentielles de son contrat de travail en sa défaveur est qualifié, rétroactivement et de plein droit, en un licenciement susceptible d’un recours judiciaire, lorsque le salarié a refusé d’accepter cette modification.

La rupture des relations de travail est, en effet, jugée imputable à l’employeur, qui a pris l’initiative de modifier les relations de travail d’une façon jugée inacceptable par le salarié.

Ce licenciement est irrévocable et a une valeur définitive.

L’employeur ne doit pas, par conséquent, licencier le salarié qui refuse ses nouvelles conditions de travail au moment où celles-ci doivent entrer en vigueur. Un tel licenciement serait superflu et inopérant (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

Le salarié peut, quant à lui, exiger de l’employeur qu’il lui communique formellement les motifs précis, réels et sérieux ayant conduit l’employeur à imposer cette révision du contrat de travail du salarié  (quand il s’agit d’une modification imposée à l’issue d’un préavis).

Le “licenciement” par l’employeur

En l’espèce, l’employeur a effectué la modification du contrat de travail de la salariée avec préavis.

Dans un tel cas, le salarié peut demander les motifs, qui doivent être fournis par l’employeur avec une précision telle “que leur énoncé même en révèle la nature et la portée exactes et permette au salarié d’apprécier s’ils ne sont pas illégitimes ou si le congédiement n’a pas le caractère d’un acte économiquement ou socialement anormal et de faire la preuve de la fausseté ou de l’inanité des griefs invoqués” (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

L’employeur, bien qu’il ait communiqué les motifs dans les délais, n’a pas indiqué avec précision la nature de la fonction jusqu’alors occupée par la salariée, les manquements reprochés dans le cadre de cette fonction (qui justifieraient un changement de ses horaires de travail et une baisse de sa rémunération), la date à laquelle ces manquements auraient été commis, ou encore leur fréquence (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

Par ailleurs, précise le tribunal, même à admettre que la salariée aurait, à plusieurs reprises, exprimé son désir de ne plus travailler pour un client de son employeur, et aurait annoncé à son employeur son désir de quitter l’entreprise, ces faits ne sauraient constituer une faute justifiant la modification de son contrat de travail (voir aussi, T.T. 27 janvier 2012, n°442/2012, concernant un salarié annonçant à son employeur sa décision de se mettre à la recherche d’un nouvel emploi).

Les motifs n’ayant pas été décrits avec suffisamment de précision, la salariée n’a pas été en mesure de comprendre la nature et la portée exactes des motifs de la révision de son contrat de travail et de préparer utilement sa défense contre cette révision.

Il est en outre impossible pour le tribunal d’apprécier la gravité des motifs de cette modification” (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

La lettre du 23 septembre 2009, par laquelle l’employeur a entendu imposer à la salariée une modification de son contrat de travail constitue partant un licenciement, jugé abusif par le tribunal.

Les dommages-intérêts alloués au salarié 

Le licenciement abusif donne éventuellement droit à l’allocation de dommages-intérêts pour réparer les préjudices matériel et moral subis par le salarié suite à son licenciement.

L’indemnisation du salarié qui a fait l’objet d’un licenciement abusif doit être aussi complète que possible, mais seul le dommage qui se trouve en relation causale directe avec le licenciement doit normalement être pris en considération.

En ce qui concerne le dommage matériel, ou encore la perte de revenu du salarié après son licenciement, cette perte de revenu n’est à prendre en compte que pour autant qu’elle se rapporte à une période qui aurait raisonnablement dû suffire au salarié pour lui permettre de retrouver un nouvel emploi, le salarié étant obligé de faire tous les efforts nécessaires pour trouver un emploi de remplacement et pour minimiser son dommage.

Dans le cas considéré, la salariée a retrouvé un nouvel emploi à la fin du préavis donné par l’employeur (en d’autres termes, au moment où les modifications de son contrat de travail devaient entrer en vigueur) : “elle ne peut dès lors avoir subi un préjudice matériel du fait de son licenciement abusif que s’il existe une nette différence entre le salaire qu’elle a touché auprès de son ancien employeur et celui qu’elle a touché auprès de son nouvel employeur dans les mois suivant son licenciement” (T.T. 27 septembre 2011 n° 3575/11).

Étant donné, cependant, que la salariée n’a pas informé le tribunal, pièces à l’appui, du montant de sa nouvelle rémunération, elle ne peut pas se voir allouer de dommages-intérêts pour préjudice matériel.

Quant à sa demande en indemnisation pour préjudice moral, le tribunal décide qu’elle a subi un préjudice moral du fait de l’atteinte portée à sa dignité de salariée qui est évalué à 5.000 EUR, compte tenu de la durée des relations de travail et des circonstances dans lesquelles le licenciement s’est opéré.

Délais pour agir en justice

Le salarié qui refuse les modifications de son contrat de travail a trois mois, à partir de la notification par l’employeur des nouvelles conditions de travail, ou à partir de la communication des motifs, lorsque ceux-ci sont demandés et communiqués, pour introduire son action en justice.

L’employeur avait informé la salariée par courrier recommandé du 23 septembre 2009 des nouvelles conditions de travail devant prendre effet à compter du 1er décembre 2009.

Cependant, la salariée avait demandé, et obtenu de l’employeur par courrier du 23 octobre 2009, les motifs nécessitant de modifier son contrat de travail.

La salariée avait donc trois mois à compter de la lettre de motifs du 23 octobre 2009, c’est-à-dire jusqu’au 23 janvier 2010, pour introduire un recours judiciaire.

Ce délai de trois mois est valablement interrompu lorsque le salarié réclame par courrier recommandé contre la modification lui imposée ou contre les motifs fournis par l’employeur pour justifier cette modification.

Cette réclamation fait courir un nouveau délai d’une année pour introduire l’action en justice, courant par conséquent, dans notre affaire, du 23 janvier 2010 au 23 janvier 2011.

 

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