Publié le : 12/09/2014 par Hélène WEYDERT

Nouvelle directive détachement : des services et des hommes

SF

L’Union européenne rassemble des travailleurs au sein de laquelle le salaire social minimum, quand il existe, varie de 200 EUR à 2.000 EUR par mois, sans compter les charges sociales, qui peuvent -quant à elles- varier du simple au triple, à niveau de salaire social minimum équivalent.

Le Luxembourg est le pays de l’Union qui a la particularité de cumuler un salaire social minimum élevé, des charges sociales basses, un petit territoire, et de nombreux voisins… un atout en matière de détachement de travailleurs ?

Travailleur détaché

On entend par travailleur détaché, tout travailleur travaillant “habituellement” à l’étranger et qui exécute son travail, pendant une période limitée, sur le territoire du pays d’accueil.

Au Luxembourg, la loi du 20 décembre 2002 a transposé la directive détachement de 1996 (directive 96/71/CE).

Suite à un arrêt du 19 juin 2008 de la Cour de justice européenne (affaire C-319/06, Commission c. Luxembourg), la loi luxembourgeoise a été modifiée pour permettre la libre prestation des services : interprétation stricte des dispositions d’ordre public à respecter, formalités administratives peu contraignantes (avant, pendant et après le détachement).

D’aucuns ont craint que les autorités de contrôle s’en trouvent plus démunies en cas de fraude. En effet, le pays d’envoi est responsable du contrôle des conditions de travail des salariés détachés, mais quid s’il vient à faillir ?

De plus, le détachement recoupe des situations très variées, de la plus simple (personne travaillant et résidant dans le pays d’envoi et détachée dans le pays d’accueil) à d’autres plus complexes : salarié résidant dans un pays A, travaillant dans un autre B de manière habituelle, détaché contractuellement par son employeur établi dans le pays B auprès d’une société ayant son siège le pays C alors qu’il sera détaché par celle-ci au bénéfice d’une autre société ayant, elle, son siège dans le pays D, qui le détachera dans le pays E pour y travailler. De multiples contrats de sous-traitance peuvent offrir des combinaisons plus complexes encore – et parfaitement opaques. D’ailleurs, ces liens contractuels (souvent précaires) se superposent aux liens réels de subordination, l’employeur véritable de ces salariés pouvant être distinct du ou des employeur/s contractuel/s.

A elle seule, la détermination de la loi applicable pourra constituer un véritable casse-tête juridique.

Nouvelle directive

Le 15 mai 2014, une nouvelle directive sur le détachement (directive 2014/67/UE), dite “directive exécution”, vient compléter la directive de 1996 : elle a pour objet de garantir une saine concurrence, le respect les conditions de travail des salariés détachés, et des moyens de contrôle efficaces.

La directive exécution prévoit ainsi :

1. Une information claire de chaque Etat en matière de détachement permettant une libre circulation des services;

2. Des critères communs permettant à chaque Etat de vérifier s’il s’agit d’un véritable détachement, notamment la réalité de la société et la réalité de la relation de travail, au-delà des découpages contractuels, en procédant à un examen aussi bien dans le pays d’envoi que dans le pays d’accueil :

Le travailleur qui est détaché dans un État membre autre que celui dans lequel ou depuis lequel il accomplit “habituellement” son travail doit être examiné conformément au règlement 593/2008/CE (Rome I) et/ou à la convention de Rome. Cela pourra s’avérer insoluble dans le cas de salariés engagés par une série de contrats à durée déterminée dont l’exécution est à travers divers pays de l’Union : la stabilité, ou l’habitude, est précisément ce qui fait défaut.

Les États membres devraient s’appuyer notamment sur les faits relatifs à la prestation de travail, à la subordination et à la rémunération du travailleur, quelle que soit la qualification de la relation dans tout accord, qu’il soit contractuel ou non, ayant pu être conclu entre les parties. “ (art. 4).

3. Des règles communes en matière de coopération administrative, assistance, inspections et mesures de contrôle nationales :

Les informations demandées doivent être fournies par voie électronique dans les délais suivants:

  • pour les cas urgents : dans le délai maximum de 2 jours ouvrables à compter de la réception de la demande;
  • pour toute autre demande : dans les 25 jours ouvrables au maximum à compter de la réception de la demande, sauf si un délai plus court est fixé d’un commun accord par les États membres.

Responsabilité du sous‑traitant

Dans le secteur de la construction : Le Luxembourg devra instaurer une responsabilité de principe du sous-traitant (ou d’autres mesures d’exécution appropriées) en cas de non-respect de la rémunération des travailleurs détachés. Par exception, “les États membres peuvent prévoir qu’un contractant qui a assumé des obligations de diligence telles que définies par le droit national n’est pas responsable” (art. 12). Ce volet de la directive exécution semble particulièrement pouvoir faire l’objet de transpositions nationales variées.

  • La protection des droits des travailleurs détachés dans le contexte d’une relation de sous‑traitance est un sujet particulièrement préoccupant. Il est avéré que, dans un certain nombre de cas, les travailleurs détachés ont été exploités et privés des salaires ou d’une partie des salaires auxquels ils avaient droit. Il est également arrivé que les travailleurs détachés n’aient pas pu faire valoir leurs droits à cet égard parce que la société qui les avait employés avait disparu ou n’avait jamais eu d’existence réelle.

  • Ces éléments proviennent d’études réalisées pour le compte de la Commission, de rapports d’inspecteurs du travail, d’employeurs et de syndicats, de cas signalés dans les médias et de questions et auditions parlementaires. D’après ces éléments, le secteur de la construction semble concentrer la majorité des abus et des cas d’exploitation et de concurrence déloyale. Il concentre également le plus grand nombre de détachements (environ 25 %).

  • Dans les États membres qui disposent déjà d’un système de responsabilité du sous‑traitant (l’Autriche, l’Allemagne, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays‑Bas et la Belgique), celui-ci est considéré comme un outil de contrôle efficace de l’application des règles lorsqu’il est combiné au contrôle de l’État.” (Détachement des travailleurs: les garanties de l’Union européenne contre le dumping social, European Commission – MEMO/14/344   13/05/2014)

Sanctions transfrontalières

Les sanctions et amendes administratives pécuniaires font l’objet de dispositions d’exécution transfrontalières, avec, toutefois, une possibilité de refus motivé de l’autorité de contrôle d’exécuter les sanctions demandées, notamment si la demande est incomplète, la mesure disproportionnée (par rapport aux coûts de recouvrement) ou encore pour non-respect des droits et libertés fondamentaux de la défense.

Luxembourg

La directive laisse entière liberté aux Etats membres, partant également au Luxembourg, de :

  • compléter la liste des mesures de contrôle par des exigences administratives justifiées et proportionnées pour assurer le respect effectif des règles en matière de détachement des travailleurs.
  • introduire des règles plus strictes ou soumettre d’autres secteurs à la responsabilité solidaire en cas de sous-traitance en cascade.

Conclusion

Les services et les hommes circulent plus vite que les développements juridiques, dans ce vaste espace économique régi par des règles relevant de l’Union et dont le respect est assuré par la Nation.

Espérons que l’instauration d’un véritable dispositif de contrôle et de sanctions national, couplé avec une coopération efficace entre autorités de contrôle au sein de l’Union, permettra une concurrence authentique et saine entre les entreprises – et le respect des travailleurs.

Le Luxembourg a 2 ans pour transposer cette directive.

 



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