Publié le : 30/04/2014 par Hélène WEYDERT

Handicap ou « simple » maladie : CJUE

Handicap

« Le handicap, léger ou lourd, touche une personne sur six dans l’Union européenne, soit environ 80 millions de personnes … Trop souvent, la plupart de ces personnes ne sont pas en mesure de participer pleinement à la société et à l’économie en raison de barrières physiques ou autres, ou de discriminations » (Commission européenne, 5 janvier 2011, IP/11/4).

Les discriminations liées au handicap sont les plus répandues au Luxembourg, selon le rapport 2013 du Centre pour l’égalité de traitement (CET) rendu le 25 mars 2014.

 

 Un arrêt du 11 avril 2013 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la notion de handicap ainsi que les obligations de l’employeur vis à vis de ses salariés handicapés – ou de ceux qui le deviennent.

La Cour était saisie de deux affaires.

La première concerne une hôtesse d’accueil, salariée depuis 9 ans auprès du même employeur, subitement absente à plusieurs reprises de son travail en raison de douleurs dorsales : au bout de 6 mois, son employeur la licencie. Elle retrouve rapidement un emploi similaire, mais à mi-temps, auprès d’un autre employeur.

La seconde concerne une secrétaire, employée depuis 5 ans, victime d’un choc violent à la nuque dans un accident de la circulation. Elle est en arrêt de travail, puis reprend à mi-temps thérapeutique, est ensuite en arrêt de travail complet pendant 4 mois, avant d’être licenciée par son employeur. Les autorités (danoises) la déclarent invalide à 50% au moins et capable de travailler « environ 8 heures par semaine à un rythme lent ».

Leur licenciement est contesté en justice : ces salariées seraient devenues handicapées, et leur employeur aurait dû leur proposer une réduction de leur temps de travail.

Égalité de traitement : la directive

La base juridique invoquée est la directive européenne 2000/78/CE (égalité de traitement en matière d’emploi et de travail), transposée au Luxembourg par une loi du 28 novembre 2006, qui modifie notamment la loi du 12 septembre 2003 relative aux personnes handicapées dont le texte coordonné, ainsi que les règlements d’exécution tels que modifiés au 28 octobre 2013, sont publiés au Mémorial du 29 janvier 2014.

La directive européenne prohibe toute discrimination, directe ou indirecte, fondée notamment, mais pas uniquement, sur le handicap.

L’article 5 de la directive crée une obligation envers les employeurs au profit des personnes handicapées :

« L’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée… »

Point de vue des salariées

Au titre de la non-discrimination, ces salariées n’auraient pas dû être licenciées du fait de leurs absences pour maladie, étant donné que celles-ci résulteraient de leur handicap.

Par ailleurs, leur employeur serait tenu d’une obligation d’aménagement raisonnable au titre de l’article 5 précité, partant aurait dû leur proposer un travail à temps partiel.

Point de vue des employeurs

Les employeurs, quant à eux, contestent que l’état de santé des salariées relève de la notion de handicap au sens de la directive européenne, étant donné que leur incapacité consiste en ce qu’elles ne sont plus en mesure de travailler à plein temps, du moins pendant un certain temps.

Les employeurs contestent encore toute discrimination, le licenciement étant basé sur les absences pour maladie.

Questions

Faute de définition par la directive elle-même, la Cour de justice de l’Union européenne avait jusqu’à présent défini le handicap comme étant une « limitation de la capacité de participer à la vie professionnelle » de longue durée (arrêt de la Cour du 11 juillet 2006, affaire C-13/05).

Mille questions surgissent.

Une maladie, qui peut parfois entraîner une incapacité de travail d’une certaine durée, peut-elle alors constituer un handicap? De quelle durée s’agit-il? Faut-il que la maladie soit incurable? Quand la maladie se traduit par une impossibilité de travailler à plein temps, s’agit-il d’un handicap? La réduction du temps de travail est-elle une véritable obligation de l’employeur, au titre des « aménagements raisonnables » de la directive européenne?

Discrimination indirecte

Le juge national interroge aussi la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité de sa législation (danoise) en matière de préavis réduit applicable aux salariés en maladie au regard du droit de l’Union européenne.

Concernant la mise en oeuvre d’un préavis réduit, la Cour invite le juge national à examiner le risque de discrimination indirecte de cette mesure à l’encontre des personnes handicapées, celles-ci étant plus susceptibles que les autres salariés d’être absentes pour cause de maladie, des absences pour maladie liées au handicap du salarié pouvant s’ajouter aux absences pour maladie ‘ordinaires’.

Handicap : nouvelle définition

La Cour, dans son arrêt du 11 avril 2013, observe d’abord que l’Union européenne a signé et ratifié la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, qui est entrée en vigueur pour l’Union européenne le 22 janvier 2011 (le Luxembourg a ratifié la Convention par une loi du 28 juillet 2011): la directive européenne doit donc désormais être interprétée conformément à la Convention de l’ONU.

La Convention de l’ONU admet que la notion de handicap évolue et résulte de l’interaction entre les limitations des personnes handicapées, qui doivent être durables, et « les barrières comportementales et environnementales » qui empêchent leur pleine participation à la vie professionnelle (considérant e de la Convention).

Sur cette nouvelle base juridique, la Cour adapte sa définition européenne du handicap comme visant « une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs » (arrêt de la Cour du 11 avril 2013, affaires C-335/11 et C-337/11).

Il est particulièrement intéressant de considérer le handicap, non plus comme une seule limitation de la personne, mais comme une combinaison entre cette limitation et un environnement – y compris un préjugé – inadapté.

La Cour précise que la directive européenne s’applique quelle que soit l’origine du handicap, et que le handicap, s’il peut être de naissance, peut également survenir suite à un accident ou à une maladie.

Par conséquent, poursuit la Cour, une maladie, curable ou incurable, entraînant une limitation, telle que prédéfinie, sur une longue durée, peut relever de la notion de handicap, au sens de la directive européenne.

En revanche, tel n’est pas le cas de la maladie ne remplissant pas tous ces critères, car la maladie n’est pas visée en tant que telle par la directive européenne relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

Inaptitude à travailler à temps plein: handicap ?

Le fait que la limitation du salarié consiste seulement à ne plus pouvoir travailler à temps plein peut constituer un handicap, au sens de la directive européenne.

En effet, un handicap peut être constitué par une « gêne » (pour reprendre le terme employé par la Cour dans son arrêt du 11 avril 2013), telle une inaptitude à travailler à temps plein; il n’est pas nécessaire d’établir une exclusion totale de la vie professionnelle, ou une impossibilité absolue, selon la Cour.

Le handicap peut donc, selon la Cour, résulter d’une inaptitude à travailler à temps plein qui n’est ni totale, ni permanente, pourvu qu’elle soit de longue durée.

La longue durée n’est, délibérément, pas précisée par la Cour, qui admet toutefois que des périodes d’incapacité de travail sur une durée d’environ 6 mois peuvent déjà être considérées comme étant de longue durée.

Peu importe, en outre, le fait que l’utilisation d’équipements spéciaux soit ou non nécessaire, la nature des aménagements devant être pris par l’employeur n’ayant aucune incidence sur l’existence même du handicap.

Réduction du temps de travail : véritable obligation ou simple faculté ?

Selon la Cour, la réduction du temps de travail peut constituer une mesure d’aménagement nécessaire, appropriée et raisonnable lorsqu’elle élimine les diverses barrières à l’emploi et permet au salarié handicapé de poursuivre son exercice professionnel : l’employeur est donc tenu de proposer cet aménagement au salarié (devenu) handicapé.

Les mesures visées par la directive européenne ne sont, en effet, pas uniquement matérielles (l’installation de tables de travail ajustables en hauteur était discutée pour l’une des salariées), mais également organisationnelles: rythme, cadences, pauses, aménagement des horaires, réduction du temps de travail, ainsi que toutes mesures semblant appropriées, la liste n’étant pas exhaustive.

Des limites raisonnables

Il est entendu, précise la Cour, qu’il n’est pas exigé de l’employeur qu’il recrute, promeuve, ou maintienne dans l’emploi une personne qui n’est pas compétente, capable ou disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné.

La Cour renvoie, en outre, au juge national d’apprécier au cas par cas si la mesure d’aménagement, ici la réduction du temps de travail, entraîne une charge disproportionnée pour l’employeur : « les aménagements auxquels les personnes handicapées peuvent prétendre doivent être raisonnables » (arrêt de la Cour du 11 avril 2013, précité).

La taille, les ressources financières et autres de l’entreprise, et la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide figurent parmi les éléments à prendre en considération pour apprécier si la mesure d’aménagement à laquelle l’employeur peut être contraint est concrètement raisonnable – ou au contraire disproportionnée.

La Cour ajoute, à l’attention du juge national, que la circonstance qu’un des employeurs a passé une annonce, immédiatement après le licenciement, pour pourvoir le poste de la salariée licenciée, en le réduisant à un mi-temps, alors que la salariée licenciée était capable de travailler à mi-temps, ce qu’elle a établi en occupant ultérieurement auprès d’un autre employeur le même poste, mais à mi-temps plutôt qu’à plein temps, ou encore l’existence d’aides étatiques, sont également des éléments de fait que le juge national doit prendre en considération dans son appréciation, néanmoins souveraine, sur le point de savoir si une charge disproportionnée dispense l’employeur de son obligation de prendre des mesures d’aménagement appropriées et raisonnables pour permettre au salarié handicapé d’exercer sa profession.

Pour reprendre le slogan de l’Agefiph, « Handicap et emploi : c’est normal, et c’est possible ».



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