Publié le : 26/07/2012 par Hélène WEYDERT

You’ve Got Mail

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Un salarié est licencié avec effet immédiat pour actes de concurrence déloyale consistant à vouloir, avec d’autres collègues de travail, déstabiliser la direction de son employeur, et consistant aussi à détourner la clientèle de son employeur au profit d’une société concurrente qu’il était en train de créer.

Comment l’employeur l’a-t-il su ?

Il s’est basé sur un fichier qu’il a trouvé, en présence d’un huissier de justice, sur l’ordinateur d’un collègue. Ce fichier, qui n’était en apparence pas privé (le fichier était intitulé “Brainstorming”), avait été envoyé d’une adresse e-mail privée à une autre adresse e-mail privée, entre deux collègues, au moyen d’un ordinateur portable professionnel. Le fichier avait ensuite été effacé par l’expéditeur, mais avait néanmoins été récupéré par l’employeur sur l’ordinateur en question.

La juridiction du travail devait décider si, oui ou non, l’employeur avait agi de manière légitime et si, partant, la preuve (des actes de concurrence déloyale résultant du fichier découvert) était valable.

Validité de la preuve obtenue

Le tribunal du travail de Luxembourg (par jugement du 8 octobre 2009) a déclaré que le fichier avait été obtenu par l’employeur en violation du secret de la correspondance, consacré par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ou CEDH), étant donné qu’il avait été partagé entre adresses e-mail privées avant d’être effacé.

Le licenciement, étant basé sur ce fichier obtenu illégalement, a été déclaré abusif par le tribunal.

La Cour d’appel de Luxembourg réforme le jugement du 8 octobre 2009 (par arrêt du 3 mars 2011) en décidant, au contraire, qu’il n’y a pas violation du secret des correspondances étant donné notamment que le salarié a utilisé l’ordinateur de l’employeur et que le fichier semblait professionnel au vu de son « intitulé qui ne dénotait a priori aucun caractère privé ».

Le licenciement est déclaré justifié en appel.

La Cour d’appel de Luxembourg, dans son arrêt du 3 mars 2011 précité, rappelle que « le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables », de sorte que le domaine de la vie privée du salarié ne se limite pas à la sphère non professionnelle.

« Il est interdit d’interdire »

Citant la jurisprudence française, la Cour d’appel de Luxembourg, dans son arrêt du 3 mars 2011, rappelle encore que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur » (Cour de Cassation française, arrêt du 2 octobre 2001, Nikon).

Notion d’abus

A l’inverse, même quand l’employeur semble tolérer l’utilisation de l’ordinateur professionnel à des fins privées, ou s’il n’existe pas d’instructions précises à ce sujet, tel un règlement intérieur concernant l’utilisation d’Internet pendant la journée de travail, la Cour d’appel considère néanmoins (arrêt du 3 février 2005) « que même en l’absence d’instructions formelles interdisant ou limitant l’usage des outils informatiques à des fins non professionnelles, l’employeur, qui doit faire preuve d’une certaine tolérance concernant l’utilisation du réseau Internet à des fins privées, à l’instar de ce qui est reconnu en matière d’usage du téléphone, n’est cependant pas tenu d’accepter les abus ».

Commet un tel abus, la salariée enceinte qui inonde ses collègues d’images choquantes de victimes d’accidents de la circulation ou d’images pornographiques : sa mise à pied pour faute grave est justifiée et son licenciement avec effet immédiat prononcé par les juges, peu important, à cet égard, que d’autres salariés aient agi de même sans pour autant encourir les mêmes sanctions (arrêt de la Cour d’appel, 3 février 2005).

Commet un tel abus également, l’informaticien qui se ménage un accès aux e-mails de ses supérieurs hiérarchiques sans leur accord, sans qu’ils en soient informés, et sans aucune explica- tion : « ce simple fait, et sans que la preuve d’une violation effective du courrier électronique doive être rapportée, constitue une faute suffisamment grave pour justifier le licenciement avec préavis», qui était assorti d’une dispense de travail (Cour d’appel, arrêt du 22 décembre 2005).

Inviolabilité absolue du secret des correspondances ? (non)

La Cour d’appel de Luxembourg admet, dans son arrêt du 3 mars 2011, « que si les intérêts de l’entreprise l’exigent, et si certaines conditions sont remplies, il doit être permis à l’employeur de porter atteinte à la vie privée de son salarié » : la Cour aménage ainsi une exception au principe de secret des correspondances en consacrant le droit d’ingérence légitime et proportionné de l’employeur dans les e-mails du salarié lorsque ceux-ci ne sont pas clairement identifiés comme privés et que le salarié utilise un outil professionnel mis à sa disposition.

Le licenciement avec effet immédiat pour concurrence déloyale est donc justifié et le salarié n’a droit ni à un préavis, ni à de quelconques dommages-intérêts.

Violation de la vie privée : sanctions pénales

Une enquête a permis de révéler qu’un ancien employé licencié envoyait des e-mails au nom de son ancien supérieur hiérarchique, au moyen d’une multitude d’adresses e-mail, à un nombre indéterminé de destinataires, à qui il était demandé de rappeler d’urgence l’ancien supérieur au numéro de téléphone de son domicile privé, ce qui a engendré nombres d’appels téléphoniques, importunant le supérieur hiérarchique et son épouse pendant un mois.

Le tribunal saisi (tribunal d’arrondissement, chambre correctionnelle, jugement du 14 janvier 2010) relève que les adresses e-mail ont toutes été créées à partir de cybercafés situés non loin du domicile de l’ancien employé licencié suite à un litige avec son supérieur hiérarchique.

Le tribunal, « qui forme son intime conviction librement, sans être tenu par telle preuve plutôt qu’une autre », considère que les éléments précités constituent un faisceau d’indices graves, précis et concordants, et que l’ancien salarié est bien l’auteur des e-mails par le biais desquels son ancien supérieur hiérarchique et son épouse ont été importunés.

Le tribunal le condamne à 4 mois d’emprisonnement, avec sursis, et à une amende de 1.000 EUR ainsi qu’à des dommages-intérêts au civil fixés, ex aequo et bono, à 1.000 EUR pour violation de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée, pour avoir importuné sciemment un couple par des appels téléphoniques répétés et intempestifs, au moyen d’adresses e-mail ayant une ressemblance avec les noms de certains anciens salariés et collègues.

L’infraction à l’article 6 de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée est punie d’une peine d’emprisonnement de 8 jours à 1 an et/ou d’une amende de 251 à 5.000 EUR.

Notons, depuis cette jurisprudence, la loi du 5 juin 2009 insérant un article 442-2 du Code pénal en vue d’incriminer le harcèlement obsessionnel, au vœu de laquelle « quiconque aura harcelé de façon répétée une personne alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il affecterait grandement par ce comportement la tranquillité de la personne visée, sera puni d’une peine d’emprisonnement de 15 jours à 2 ans et d’une amende de 251 à 3.000 EUR, ou de l’une de ces peines seulement..



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